Présentation et commentaire
Le mail traduit ci-après a été envoyé par le Dr Helen Fisher sur la liste Evolutionary-Psychology le 19 septembre dernier. Il m’a semblé être particulièrement clair, aussi je lui ai demandé (et ai obtenu) l’autorisation de le traduire et le publier sur ce site.
Son thème est la redondance1 des systèmes nous incitant à nous reproduire : Dr Helen Fisher distingue trois systèmes, pas toujours reliés entre eux, liés à l’amour et à la reproduction : la pulsion sexuelle, l’amour romantique (qui correspond à ce que le Dr Dorothy Tennov avait appelé "limerence" en 1977), et l’attachement. Le fait que ces systèmes puissent être et ne pas être reliés entre eux augmentent la souplesse humaine et donc son adaptation à l’environnement.
Dr Helen Fisher m’a précisé que cette approche est développée dans son livre :
Why we love : The Nature and Chemistry of Romantic Love (2004, Henry Holt, New York)
Dr Helen Fisher est un des chercheurs les plus célèbres et les plus productifs en psychologie évolutionniste. Son site web est : http://www.helenfisher.com
Ci-après, ma traduction du mail, et sa version originale.
Traduction personnelle :
DE: Helen Fisher
DATE: Dimanche 19 septembre 2004
OBJET: [evol-psych] Re: "love" at first sightJ’ai déjà proposé que l’évolution a doté les humains de trois différents réseaux neuronaux ou systèmes pour la séduction, l’accouplement, la reproduction et le parentage : la pulsion sexuelle, l’amour romantique et l’attachement. La pulsion sexuelle, c’est-à-dire la recherche de la gratification sexuelle, est associée avec la testostérone et ses réseaux associés du cerveau chez les deux sexes.
L’amour romantique, qui se caractérise par l’extase, l’énergie débordante, la fixation de l’attention sur un partenaire d’accouplement préféré, les pensées obsessionnelles, et un désir insatiable pour lui ou elle, est associé avec une activité plus élevée de la dopamine, et probablement aussi avec des niveaux plus faibles de sérotonine. L’attachement, les sentiments de calme et d’union émotionnelle avec un partenaire à long terme, est associé avec l’ocytocine et la vasopressine, et leurs circuits neuraux.
Je pense que ces trois pulsions de bases ont évolué pour diriger des aspects différents de la reproduction : la pulsion sexuelle a émergé pour motiver les individus à rechercher des rapports sexuels avec plusieurs partenaires ; l’amour romantique s’est développé pour leur permettre de focaliser leur attention séductrice sur le partenaire préféré, permettant ainsi de conserver l’énergie et le temps nécessaire à la création du couple ; et le système neural de l’attachement a évolué pour inciter les partenaires à poursuivre leur relation suffisamment longtemps pour remplir les besoins parentaux spécifiques à l’espèce. De plus, l’amour romantique humain a évolué à partir d’un système neural plus basique que j’appelle l’attraction animale. Il est bien connu que tous les oiseaux et mammifères ont des préférences d’accouplement, d’où les termes préférence d’accouplement, choix de partenaire, proceptivité sélective, favoritisme, etc.
Ces systèmes neuraux sont souvent reliés entre eux. Par exemple, chez les humains, quand vous tombez amoureux, vous ressentez en même temps un désir sexuel intense pour l’être aimé. Il me semble que cela est dû, en partie, au fait que la dopamine peut déclancher la testostérone. Ce qui est peut-être tout aussi important est que ces trois systèmes neuraux ne sont pas toujours connectés. Vous pouvez ressentir un attachement profond envers un partenaire sexuel à long terme tout en vivant une passion romantique avec un d’autre, et avec des pulsions sexuelles avec encore quelqu’un d’autre. En fait, vous pouvez rester au lit et bsaculer d’un sentiment d’attachement pour une personne à la passion romantique pour une autre ; une commission gère tout cela dans votre tête.
En conséquence, Homo sapiens est capable de s’engager dans une "monogamie sociale" (et une "monogamie émotionnelle") aussi bien que dans un adultère clandestin, ou d’autres stratégies reproductives opportunistes. En bref, le fait que ces trois systèmes primaires du cerveau ne soient pas liés nous permet d’être relativement flexibles dans nos stratégies.
Néanmoins, l’amour romantique existe dans toutes les sociétés pour lesquelles nous avons des données. Et il s’agit d’une des expériences les plus puissantes que l’animal humain peut vivre. Nous ne sommes pas tentés de mettre fin à nos jours face au rejet d’une proposition sexuelle, mais un nombre considérable d’hommes et de femmes se suicident quand leur amour est repoussé. Je pense que l’amour romantique est un système profond du cerveau, et un développement, une extension d’un système neural ancien des mammifères, l’attraction, qui est la base de la discrimination du partenaire et du choix de celui-ci.
Version originale :
From: Helen Fisher
Date: Sunday, September 19, 2004, 7:33:18 PM (in UTC +0100)
Subject: [evol-psych] Re: "love" at first sightI have proposed elsewhere that humans has evolved three distintlydifferent brain networks or systems for courtship, mating,reproduction and parenting: lust, romantic love and attachment. Lust,the craving for sexual gratification, is associated primarily withtestoserone and related brain pathways in both sexes. Romantic love,characterized by ecstasy, heightened energy, focussed attention on apreferred mating partner, obsessive thinking and craving for him orher, is associated with elevated activity of dopamine and probablyalso with low levels of serotonin. Attachment, feelings of calm andemotional union with a long-term partner, is associated with oxytocinand vasopressin and their neural circuits.
I think these basic mating drives evolved to direct different aspectsof reproduction: The sex drive emerged to motivate individuals to seeksex with a range of partners. Romantic love developed to enable themto focus their courtship attention on preferred individuals, therebyconserving mating time and energy. And the brain system for attachmentevolved to induce mates to sustain their relationships at least longenough to fulfill in species specific parenting duties. Moreover,human romantic love evolved from a more basic brain system that I callanimal attraction. Its well known that all birds and mammals have matepreferences, hence the terms mate preference, mate choice, selectiveproceptivity, favoritism, etc.
These brain systems are often linked. For example, among humans, whenyou fall in love, you regularly also feel intense sexual desire foryour beloved. This is, in part, I think because dopamine can triggertestosterone. Perhaps equally important, these three brain systems arenot always connected. You can feel deep attachment for a long-termpartner while you feel romantic passion for someone else while youfeel the sex drive for still others. In fact, you can lie in bed andswing from feelings of attachment for one individual to romanticpassion for another; a committee meeting is in progress in your head.
Hence Homo sapiens is able to engage in "social monogamy" (and"emotional monogamy) as well clandestine adultery, as well as range ofother opportunistic reproductive stragegies. In short, the unlinkingof these three primary brain systems enables us to be relativelyflexible in our mating strategies.
Nevertheless, romantic love occurs in all societies for which data areavailable. And it is one of the most powerful experiences the humananimal can experience. We don’t tend to kill ourselves if our sexualadvances are rejected, but a considerable number of men and women killthemselve or someone else when rejected in love. I think that romanticlove is a deeply imbedded brain system, and a development, a spin-offfrom a durable brain system in all mammals, attraction, the basis ofmate discrimination and mate choice.