PsyArXiv
L'hypothèse décrite ci-après a été intégrée dans la troisième édition de Pourquoi les femmes des riches sont belles (21 juillet 2014), et étoffée et mise en ligne en Preprint sur PsyArXiv le 13 août 2020, avec une troisième version complétée le 24 mai 2022 :
Gouillou, P. (2020, 2022). What Is Sex For? To Transmit the Genes of the Microbiome... PsyArXiv, k7u8w. doi:10.31234/osf.io/k7u8w
Sommaire
- La rareté
- Le sexe sert-il à faire des enfants ?
- Les explications usuelles
- Super-Organisme
- Hypothèse : l'influence du microbiome
- Conséquences
- Synthèse
- Sources
- Historique des versions
- Notes
La rareté
La fécondation humaine est l'histoire de la rareté : l'homme qui réussit a féconder une femme lui réserve 9 mois à 1 an de sa vie, sans même compter le temps qu'elle consacrera à son enfant par ailleurs. Cette question de disponibilité (qui n'est pas unique à l'espèce humaine) oblige les hommes à une forte compétition sexuelle pour se réserver cette rareté1.
Plus généralement, toutes choses égales par ailleurs, en distinguant donneur et receveur :
Si le receveur n'a que peu de disponibilité, alors :
Le donneur :
- Doit chercher le maximum de receveurs
- Doit empêcher les autres donneurs d'atteindre le receveur
Le receveur :
- Soit il doit être prudent et sélectif
- Soit il y a un autre processus de sélection interne (ex: guerre du sperme)
Si le receveur a beaucoup de disponibilité, alors :
Le donneur :
- Doit toujours rechercher le maximum de receveurs
- A beaucoup moins besoin de bloquer les autres donneurs (mais quand même un peu)
Le receveur :
- Doit rechercher le maximum de donneurs
Le sexe sert-il à faire des enfants ?
La fécondation humaine se situe dans le cas 1. ci-dessus : il suffit de remplacer "donneur" par "homme" et "receveur" par "femme" pour avoir une synthèse des relations sexuelles (hors Investissement paternel[^f1]).
Il y a pourtant plusieurs points qui viennent contredire l'application de ce modèle aux relations humaines :
La contraception : la faible probabilité de conception n'est le plus souvent pas perçue comme un problème, mais comme un risque subsistant, et l'histoire montre que les humains ont toujours cherché des moyens de réduire cette probabilité à zéro.
Les actes sexuels non fécondants : les humains (comme de nombreuses autres espèces) pratiquent énormément d'actes sexuels ne permettant pas la fécondation (sexe oral, anal, etc.)2 ;
Les comportements sexuels à risque : malgré toutes les campagnes d'avertissement, les relations sexuelles non protégées avec des partenaires inconnus sont importantes.
La faible sélectivité des femmes : les femmes ne sont pas aussi "prudentes" que le demande la rareté de leur offre et elles ont beaucoup plus de rapports sexuels avec des étrangers que ne le demande la recherche d'un géniteur3.
Les explications usuelles
Deux types d'explications sont avancées pour résoudre ces contradictions :
La redondance : quand la réalisation d'une action est suffisamment importante pour notre fitness, notre corps nous y incite pas plusieurs programmes, dont celui du plaisir. Les rapports sexuels non fécondants peuvent être partiellement expliqués par le fait que nous répondons à ce programme redondant.
Le renforcement des liens du couple : l'orgasme provoque la production d'oxytocine ("l'hormone de l'attachement") qui va renforcer les liens entre les partenaires sexuels. Il a été avancé que cet effet aurait été sélectionné pour l'investissement dans les enfants4.
Super-organisme
On peut remarquer que ces contradictions sont entièrement dues à la rareté (cas 1. du modèle ci-dessus) : il suffit de l'enlever (cas 2.) pour qu'elles soient parfaitement expliquées.
Or, comme déjà signalé sur Evopsy (15 Dec 2013), l'ADN n'est pas le seul code génétique porté par les humains : il faut y rajouter celui de l'ensemble des bactéries du microbiome et la transmission de celles-ci n'est pas limitée par la rareté (cas 2.).
On remarquera une autre différence essentielle d'avec la transmission d'ADN : dans le cas de ce dernier, on peut facilement distinguer le donneur du receveur alors que dans le cas du microbiome, tous les partenaires sont à la fois donneurs et receveurs.
Hypothèse : l'influence du microbiome
L'hypothèse est que le sexe aurait pour objectif partiel de transmettre les gènes des nombreuses bactéries que nous portons et que ces bactéries influencent notre comportement dans ce but.5
Cette hypothèse repose sur deux conditions :
Des bactéries sont transmises lors des relations sexuelles
Ces bactéries ont une influence sur le cerveau incitant aux rapports sexuels
La première est confirmée (exemple : les Maladies Sexuellement Transmissibles).
La deuxième n'est pas prouvée, mais il ne s'agit pas d'une hypothèse extrême : à l'opposé ce serait l'hypothèse que les bactéries n'ont pas d'influence qui serait difficile à soutenir.
L'hypothèse que les bactéries ont une influence sur les comportements sexuels n'est pas nouvelle, c'est l'approche parasitaire d'Ewald et Cochran (déjà présentée sur Evopsy : 01 Nov 2004: Psychiatrie : l'hypothèse parasitaire) :
"Les phénomènes qui réduisent fortement le fitness de leurs porteurs ne peuvent pas être maintenus par des causes strictement génétiques à des fréquences très au dessus des taux auxquels ils pourraient être générés par mutation. Le coût en fitness de l'homosexualité masculine le place dans cette catégorie. Peut-être plus important encore, chacune des hypothèses qui ont été avancées pour expliquer l'homosexualité humaine ont des failles critiques qui, si elles ne suffisent pas à les rejeter totalement, sont suffisantes pour les affaiblir.
(...)
En contraste avec les difficultés des explications non infectieuses de l'homosexualité, l'hypothèse d'une cause infectieuse ne comprend pas de faille logique et ne contredit aucun principe biologique fondamental. De plus, des anecdotes rapportent que des changements d'orientation sexuelle humaine se sont produits à la suite de changements dans l'aire limbique causés pars des traumatismes ou des infections. L'origine pourrait être sexuelle, où le comportement homosexuel pourrait faciliter la diffusion du fait du grand nombre moyen de partenaires des hommes homosexuels comparativement aux hommes hétérosexuels. Alternativement, la transmission pourrait être partiellement ou entièrement due à une ou plusieurs routes non-sexuelles, et l'orientation homosexuelle être un effet secondaire de l'infection qui n'est pas liée à la transmission."
Cochran, Ewald, & Cochran (2000, pp 437-438)6
L'hypothèse défendue ici en diffère cependant par deux nouveautés :
Elle ne se limite pas aux parasites externes, mais inclut l'ensemble du microbiome7. Plutôt que d'origine infectieuse de la sexualité, il faudrait plutôt parler de co-évolution (Johnston & Foster, 2018)8.
Elle ne se limite pas aux relations homosexuelles mais inclut tous les rapports sexuels, donc aussi tous ceux pouvant être fécondants.
Conséquences
Considérer que le sexe a comme objectif complémentaire de transmettre les gènes du microbiome et que celui-ci nous manipule dans ce but permet d'expliquer de nombreux comportements :
Les comportements sexuels non-fécondants ont bien un objectif de transmission génétique : il s'agit juste d'autres espèces.
Les comportements à risque et hypersexuels (même raison).
La forme en racloir du pénis n'a pas pour objectif que de sortir le sperme (Gallup, 2003 ; Gallup & Burch, 2006) ou réduire l'acidité du vagin (voir Evopsy : 8 Aug 2003) mais aussi d'en extraire les bactéries présentes.
Le lien entre le sexe et le moral des femmes (Gallup et al., 2002 ; Burch & Gallup, 2006) est expliqué par l'impact du microbiome sur la dépression.
Synthèse
Le sexe a bien pour objectif de transmettre nos gènes, à la condition que nous nous considérions comme un super-organisme comprenant les gènes de notre microbiome.
L'hypothèse que certaines bactéries du microbiome influencent le comportement humain pour inciter à multiplier les rapports sexuels, voire les comportements à risque, ne présente pas de difficulté théorique et permet de mieux expliquer les comportements sexuels non-fécondants et l'obsession pour la contraception.
Cette hypothèse ne remet pas en cause les autres approches basées sur la transmission de l'ADN humain (et notamment la théorie de la guerre du sperme) mais vient les compléter.
Sources
Liens
Evopsy :
8 Aug 2003 : "A quoi sert un gros Pénis ?"
1 Nov 2004 : "Psychiatrie : l’hypothèse parasitaire"
15 Dec 2013 : "L’alimentation peut changer le microbiome en 5 jours..."
30 avr 2018 : "Pourquoi les microbiotes nous manipulent"
"Semen is 'good for women's health and helps fight depression'." By Eddie Wrenn. The Daily Mail. 21 August 2012
Have a Nice (Orgasm) Day. Robert J King Ph.D. Hive Mind - Psychology Today. July 31, 2013
Références
Burch, R. L. & Gallup, G. G. (2006). The Psychobiology of Human Semen. in Female Infidelity and Paternal Uncertainty: Evolutionary Perspectives on Male Anti-Cuckoldry Tactics. (S. M. Platek & T. K. Shackelford, Eds.) (p. 258). Cambridge University Press. ISBN: 0521845386. Chap. 8, pp 141-172
Cochran, G. M., Ewald, P. W., & Cochran, K. D. (2000). Infectious causation of disease: an evolutionary perspective. Perspectives in Biology and Medicine, 3(43), 406–448. doi:10.1353/pbm.2000.0016
Gallup, G. (2003). The human penis as a semen displacement device. Evolution and Human Behavior, 24(4), 277–289. doi:10.1016/S1090-5138(03)00016-3
Gallup, G. G., Burch, R. L., & Platek, S. M. (2002). Does semen have antidepressant properties? Archives of sexual behavior, 31(3), 289–93. doi:10.1023/A:1015257004839
Gallup, G. G. & Burch, R. L. (2006). The semen-displacement hypothesis: semen hydraulics and the intra-pair copulation proclivity model of female infidelity. in Female Infidelity and Paternal Uncertainty: Evolutionary Perspectives on Male Anti-Cuckoldry Tactics. (S. M. Platek & T. K. Shackelford, Eds.) (p. 258). Cambridge University Press. ISBN: 0521845386. Chap. 7, pp 129-140.
Goetz, A. T. & Shackelford, T. K. (2006). Mate retention, semen displacement, and sperm competition in humans. in Female Infidelity and Paternal Uncertainty: Evolutionary Perspectives on Male Anti-Cuckoldry Tactics. (S. M. Platek & T. K. Shackelford, Eds.) (p. 258). Cambridge University Press. ISBN: 0521845386. Chap. 9, pp 173-190
Johnson, K. V.-A., & Foster, K. R. (2018). Why does the microbiome affect behaviour? Nature Reviews Microbiology. doi:10.1038/s41579-018-0014-3
Historique des versions
Date | Description |
---|---|
3 fév. 24 | Améliorations de forme |
24 mai 22 | V3 de l'article sur PsyArXiv |
12 mai 22 | V2 de l'article sur PsyArXiv |
18 aout. 20 | Ajout lien vers article sur PsyArXiv |
6 sept. 18 | Compléments à la section Hypothèse : Ajout citation Cochran, Ewald, & Cochran (2000, pp 437-438) et intégration Hypothèse de Johnston & Foster (2018) |
30 avr. 18 | Ajout Complément Hypothèse de Johnston & Foster (2018) Ajout Sommaire |
14 nov. 17 | Ajout Note sur orgasmes masculins par seconde |
22 juil. 14 | Intégration dans la 3e Edition de Pourquoi les femmes des riches sont belles |
30 déc. 13 | 1ère Mise en ligne |
Notes
-
Ce qui est plus surprenant dans l'espèce humaine est que les femmes connaissent aussi une très forte compétition sexuelle. L'explication est que les hommes investissent beaucoup dans l'éducation des enfants et sont donc, eux aussi, une ressource rare que les femmes convoitent. On parle d'Investissement Parental Mâle (IPM) ou d'Investissement Paternel. ↩
-
Robert J King Ph.D. indique le chiffre de 18 000 orgasmes masculins par seconde pour seulement 4 naissances, soit 0,02% ! (Ajout du 14 novembre 2017) ↩
-
C'est un reproche récurrent de la presse grand public contre la psychologie évolutionniste, qui aurait interdit aux femmes le sexe pour le sexe. ↩
-
C'est aussi ce qui a permis à des moralistes chrétiens d'autoriser les rapports sexuels qui n'étaient pas réalisés dans un but de fécondation. ↩
-
De même que le rhume nous pousse à éternuer, ce qui est un excellent moyen de diffuser efficacement les bactéries ↩
-
Traduction personnelle. Version Originale :
"Phenomena that strongly reduce the evolutionary fitness of their bearers cannot be maintained by strictly genetic causation at frequencies far above the rates at which they could be generated by mutation. The fitness costs of male homosexuality place it in this category [124]. Perhaps more importantly, each of the hypotheses that have been put forward to explain male homosexuality have critical flaws that, if not sufficient to cause their outright rejection, are sufficient to severely weaken them.
(...)
In contrast with difficulties of noninfectious explanations of homosexuality, the hypothesis of infectious causation does not incorporate critical logical flaws or contradictions of fundamental biological principles. Indeed, anecdotal reports indicate that changes in human sexual orientation have occurred following changes in the limbic area due to trauma or infection [131, 132]. One possible route would be sexual, whereby homosexual behavior could facilitate spread because of the larger numbers of partners homosexual males may have on average, relative to heterosexual males. Alternatively, transmission could be partly or entirely by one or more nonsexual routes, and homosexual orientation be a side effect of the infection that is unrelated to transmission."
Cochran, Ewald, & Cochran (2000, pp 437-438) -
Jusqu'à très récemment, on ne connaissait pas l'influence du microbiome sur le comportement (le cerveau était réputé protégé de leur influence) et on pensait que seules certains parasites externes pouvaient atteindre le cerveau. ↩
-
Johnston & Foster (2018) proposent que l'influence du microbiome sur notre comportement ne s'explique pas par la manipulation de l'un par les autres, mais par la co-évolution.
Voir la présentation sur ce site : Pourquoi les microbiotes nous manipulent ? ↩