Suite à : “Sommes-nous plus intelligents que ne le montrent les tests de QI ?” – 06 nov. 02
J'avais envoyé sur la liste Evolutionary Psychology de Ian Pitchford[1] mes réflexions sur l'article de Nature. Patrice Wilken, post-doctorant en biologie, y a apporté des commentaires très intéressants. Il constate que cette idée d'influence du langage sur la quantité d'information retenue a déj à été étudiée et renvoit à un article de Georges A. MILLER de 1956 ![2]
Je vais synthétiser ici quelques-uns des apports de cet article (à lire si vous comprenez l'anglais).
Miller s'intéresse à la Théorie de l'information et commence donc par poser les définitions utilisées, parmi lesquelles :
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Quantité d'information = Variance au sens statistique
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Bit d'information = “quantité d'information nécessaire pour prendre une décision entre deux possibilités équiprobables” (se souvenir de ‘0' ou de ‘1' demande donc 1 bit, se souvenir de ‘0' ou de ‘1' ou de ‘2' ou de ‘3' demande 2 bits, etc. : un bit correspond à la racine carrée du nombre d'éléments à retenir)
Il constate tout d'abord que le nombre de bits sur lesquels on peut porter un jugement est limité à 2,6 bits (avec un écart-type de 0,6 bit en fonction du type d'élément considéré) soit environ 7 éléments. Si l'on en demande plus, le cerveau va essayer de simplifier, et perdre en précision.
Il existe pourtant un moyen d'augmenter ce chiffre sans toucher à la précision : c'est de demander des éléments en provenance de plusieurs domaines, c'est-à-dire augmenter le nombre de dimensions considérées. Par exemple, au lieu de demander au testé de situer la hauteur d'une note, on peut lui demander de retenir à la fois sa hauteur et son timbre. Cela ne doublera pas sa mémoire, mais l'augmentera néanmoins.
Il existe aussi un troisième moyen utilisé par le cerveau : celui de recoder l'information. Par exemple, retenir 110010 demandera 6 bits. Mais il suffit de connaître la conversion de base 2 en base 10 pour n'avoir plus que deux chiffres (50), et de recoder en utilisant le langage pour n'avoir plus qu'un seul mot (“cinquante” ou “fifty”, etc.).
Les résultats de ces recodages sont ce que Miller appelle des Chunks, et ce sont eux qui sont retenus. En conséquence, les subtests d'étendue de la mémoire utilisés dans les tests de QI comme le Wechsler ne s'intéressent pas aux bits d'information, mais aux chunks. Il y a donc peu de chances que la moyenne à ces tests varie en fonction de la langue utilisée.
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MILLER, George A. (1956) : The Magical Number Seven, Plus or Minus Two: Some Limits on Our Capacity for Processing Information. The Psychological Review, 1956, vol. 63, pp. 81–97