La comparaison des cultures montre que les choix de partenaires chez les humains sont influencés par de nombreux critères d’ordres personnels, sociaux, et écologiques. Par exemple, les hommes des sociétés caractérisées par des coalitions fraternelles ou idéologiques ont tendance à travailler pour contrôler les ressources, matérielles ou sociales. Si une de ces coalitions réussit à contrôler les ressources de la société, alors les hommes qui la composent auront tendance à utiliser le pouvoir acquis pour favoriser leurs préférences reproductives, et de fait ces sociétés connaissent souvent des régimes despotiques (voir Betzig, 1996). Fondamentalement, dans beaucoup de ces sociétés, des coalitions d’hommes de haut statut contrôlent les hommes de plus bas rangs par la violence ou la menace, et utilisent ce pouvoir pour se reproduire à leurs dépends, sans s’inquiéter beaucoup des préférences des femmes. Dans ces sociétés, la sélection sexuelle se caractérise principalement par la compétition entre les hommes qui déterminera le rang de chacun (comme chez les autres primates) et par conséquent les chances de chacun d’exercer ses préférences reproductives (White & Burton, 1988).
Les formes de sélection sexuelle sont très différentes dans les sociétés où le pouvoir ne peut être confisqué par une coalition d’hommes. Le contraste le plus net est celui existant entre les sociétés despotiques et celles dans lesquelles la monogamie est de règle, qu’elle soit imposée par l’écologie ou par la société (Betzig, 1986 ; Flinn & Low, 1986), ces dernières étant généralement des démocraties (Betzig, 1995). La monogamie, qu’elle soit socialement ou écologiquement imposée, a pour conséquence une restriction relative du pouvoir des élites, ce qui provoque une plus faible variation reproductive entre les hommes, et donc un moindre intérêt aux compétitions entre les hommes. Un système monogame est donc généralement associé à une baisse de l’intensité et à un changement dans les formes de la compétition entre les hommes, ainsi qu’à une plus grande liberté de choix par les femmes, et donc un plus haut niveau de compétition entre elles. Dans ces sociétés, la compétition entre les hommes ne se situe plus au niveau de la violence pour contrôler les autres hommes, mais à celui de l’acquisition d’indicateurs culturels de succès (Keeley, 1996 ; Irons, 1979). Parvenir au succès culturel n’est rien d’autre qu’un autre moyen de gagner du pouvoir et augmenter ses possibilités de choix reproductif, mais cette influence n’est pas acquise par la force.
Plus exactement, le succès culturel des hommes augmente leur possibilité d’exercer leurs préférences reproductives, mais cet exercice est plus modéré par le choix des femmes que par l’agression directe avec d’autres hommes (Pérusse, 1993). Le choix des femmes est lui largement influencé par les bénéfices sociaux, matériels et peut-être génétiques, qu’un partenaire potentiel peut lui apporter à elle et à ses enfants. De plus, dans un système monogame, le mariage réduit l’investissement de l’homme à une seule femme, ou du moins à une seule femme à la fois, et à ses enfants. Ce plus haut niveau d’investissement paternel augmente les attentes des hommes, qui seront plus sélectifs dans leur choix de partenaire, les critères les plus importants étant la compatibilité d’humeur et les indicateurs de fécondité (Buss, 1994). Cette plus grande sélectivité des hommes implique bien sûr que les compétitions entre les femmes seront plus intenses. Dans ce but, ces dernières chercheront à la fois à augmenter leurs indicateurs de fécondité (par exemple par l’utilisation de maquillage afin de paraître plus jeune) et à exclure socialement les concurrentes.
Comme l’avait prédit le modèle d’Investissement Parental de Trivers (1972) présenté au chapitre 2, la monogamie a tendance à réduire les différences sociales entre les hommes et les femmes, parce qu’elle a tendance à rapprocher les niveaux d’investissements parental des deux sexes. Dans les sociétés où la monogamie n’est pas imposée (socialement ou écologiquement), les efforts reproductifs des hommes se concentrent sur l’accouplement plutôt que sur ses soins parentaux, comme c’est le cas chez presque toutes les espèces de mammifères, dont de nombreuses espèces de primates (Cutton-Broc, 1989).