Théorie de l'Activation Défensive : le rêve paradoxal sert à défendre le cortex visuel de sa récupération par ses voisins

Philippe Gouillou - 31 décembre 2020 - MàJ : 9 janvier 2021  - https://evopsy.com/abstracts/neuroplasticite-reve.html
Tags : Cortex, Vision, Perception
La neuroplasticité permet à une personne perdant un sens perceptif de réaffecter rapidement les zones corticales de ce sens à un ou d'autres sens. Eagleman & Vaughn (2020) proposent que le but du rêve paradoxal (REM) est justement d'éviter que cela se produise quand la vision est inutilisée : pendant le sommeil.

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Eagleman & Vaughn (2020) proposent que le rêve paradoxal (Rapid Eye Movement : REM), où le cortex visuel est activé mais les mouvements bloqués, a pour but de protéger la zone visuelle du cerveau de sa récupération (occupation) par d'autres zones quand elle est inactivée.

Leurs principaux arguments sont :

  • La neuroplasticité est très rapide, ce qui met en danger la zone visuelle pendant le sommeil : d'autres zones peuvent la récupérer dès seulement 40 à 60 minutes pour leurs tâches (c'est ce qu'on a constaté chez ceux qui apprennent le Braille les yeux bandés). Or, le rêve paradoxal se produit en moyenne toutes les 90 minutes (aux débuts de la récupération).

  • Ce danger de récupération est d'autant plus grand que la neuroplasticité est forte. Or :

    • Chez les humains la durée du sommeil paradoxale baisse avec la perte de neuroplasticité : de la moitié du temps de sommeil chez les jeunes enfants à seulement 18% chez les personnes âgées.
    • Au travers de 25 espèces de primates, on trouve une forte corrélation entre la neuroplasticité (mesurée par le temps nécessaire pour arriver à l'adolescence) et le pourcentage de rêve paradoxal.
  • Ce même phénomène d'activation défensive se retrouve en dehors du rêve : les personnes qui ont de moins en moins de stimuli visuels, que ce soit pour cause médicale (dégénérescence) ou situationnelle (pas de changement de champ de vision : prison, etc.) éprouvent des hallucinations (la zone visuelle s'active en cas de manque de stimuli externes).

David Eagleman et Don Vaughn ont publié dans Time le 29 décembre 2020 un article résumant leur théorie : Why Do We Dream? A New Theory on How It Protects Our Brains.

Remarques

  1. Il existe de nombreuses théories pour expliquer le rêve, et celle-ci n'est pas la seule reposant sur une nécessité même du fonctionnement du cerveau (par exemple Klemm (2011)1 avait proposé que le REM correspond à un début de réveil de la conscience nécessaire après une phase de sommeil profond).

  2. Hahamy et al. (2020)2 ont montré que les les hallucinations des aveugles atteints du Syndrome de Charles de Bonnet sont provoquées par l'activation spontanée du cortex visuel.

  3. Puisque le manque de stimuli visuels peut provoquer des hallucinations, il serait intéressant de chercher si l'augmentation des stimuli visuels peut limiter celles-ci chez ceux qui en sont atteints.

  4. Quels sont les rêves de ceux qui sont aveugles de naissance ou dont le cortex visuel a été réaffecté ("occupé") après une perte de la vision (ex : écholocation) ?

Références

Eagleman, D. M., & Vaughn, D. A. (2020). The Defensive Activation theory: dreaming as a mechanism to prevent takeover of the visual cortex. BioRxiv, 2020.07.24.219089 doi:10.1101/2020.07.24.219089

Traduction de l'Abstract

Les régions du cerveau maintiennent leur territoire par une activité continue : si l'activité ralentit ou s'arrête (par exemple, à cause de la cécité), le territoire a tendance à être occupé par ses voisins. Une surprise de ces dernières années est la vitesse de prise de contrôle, qui est mesurable en une heure. Ces constatations nous amènent à une nouvelle hypothèse sur l'origine du rêve. Nous supposons que les circuits qui sous-tendent le rêve servent à amplifier l'activité du système visuel périodiquement pendant la nuit, lui permettant de défendre son territoire contre la prise de contrôle par d'autres sens. Nous constatons que les mesures de la plasticité chez 25 espèces de primates sont en corrélation positive avec la proportion de sommeil à mouvements oculaires rapides (REM). Nous constatons également que la plasticité et le sommeil paradoxal augmentent au même rythme que la récence évolutive chez l'homme. Enfin, notre hypothèse est cohérente avec la diminution du sommeil paradoxal et la diminution parallèle de la neuroplasticité avec le vieillissement.
Eagleman & Vaughn (2020)3

Liens

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Historique des modifications

Date Historique
9 jan. 2021 Ajout Remarque 2 (Hahamy et al., 2020)
31 déc. 2020 1ère Mise en ligne

Notes


  1. Klemm, W. R. (2011). Why does REM sleep occur? A Wake-up Hypothesis. Frontiers in Neuroscience. 5 (73): 1- 12. doi:10.3389/fnsys.2011.00073 

  2. Hahamy, A., Wilf, M., Rosin, B., Behrmann, M., & Malach, R. (2020). How do the blind ‘see’? The role of spontaneous brain activity in self-generated perception. Brain doi:10.1093/brain/awaa384 

  3. Traduction depuis :

    Regions of the brain maintain their territory with continuous activity: if activity slows or stops (e.g., because of blindness), the territory tends to be taken over by its neighbors. A surprise in recent years has been the speed of takeover, which is measurable within an hour. These findings lead us to a new hypothesis on the origin of dream sleep. We hypothesize that the circuitry underlying dreaming serves to amplify the visual system’s activity periodically throughout the night, allowing it to defend its territory against takeover from other senses. We find that measures of plasticity across 25 species of primates correlate positively with the proportion of rapid eye movement (REM) sleep. We further find that plasticity and REM sleep increase in lockstep with evolutionary recency to humans. Finally, our hypothesis is consistent with the decrease in REM sleep and parallel decrease in neuroplasticity with aging.
    Eagleman & Vaughn (2020)