Sommaire
Tabou
"Un peu plus de 40 % des femmes québécoises auraient déjà essayé de contraindre un homme à avoir des relations sexuelles contre son gré, dévoile une des premières études à se pencher sur la coercition sexuelle au féminin."
Le Devoir
L'affaire Weinstein et ses suites (#Metoo, BalanceTonPorc, ...) ont mis en avant la question du consentement à l'acte sexuel : de nombreuses femmes ont accusé de nombreux hommes de les avoir, d'une manière ou d'une autre, forcées à ce dont elles ne voulaient pas, ou pas vraiment, ou qu'elles ont regreté par la suite.
Si tout le monde, ou presque, est naturellement horrifié par le viol, définir les limites précises du consentement sexuel apparaît cependant impossible : les deux sexes n'ont ni les mêmes armes ni les mêmes objectifs reproductifs, et de nombreuses études ont montré que chacun va souvent essayer de manipuler l'autre à son avantage personnel. Où est la limite de l'agression ?
Comme indiqué dans Pourquoi les femmes des riches sont belles, l'échange sexe-ressource est à la base des relations entre les sexes : la femme a son potentiel reproductif "à vendre" qu'elle va échanger contre l'engagement de l'homme à lui fournir un accès stable aux ressources nécessaires à la survie et à la reproduction. Cet échange va de la prostitution où "l'homme a fini de payer *avant", au mariage longue durée où l'homme soutient les enfants que la femme a eu d'un autre.
Actuellement, les féministes dites "de 3e génération" militent pour que la définition de l'agression soit la plus élargie possible, certaines allant jusqu'à définir toute pénétration sexuelle comme un viol, tandis que d'autres regrettent que le terme de viol soit détourné, lui faisant ainsi perdre sa valeur.
Mais il n'y a pas que les hommes qui cherchent à exploiter les femmes : elles aussi cherchent à exploiter les hommes, à les forcer à des contacts dont ils ne veulent pas. Mais là, c'est beaucoup moins médiatique, et quand ça l'est, c'est controversé, comme l'a montré l'exemple du "Baiser volé" de Katy Perry début mars 2018 (BFM TV) :
Si le phénomène était moins tabou, constaterait-on une plus grande répartition des agressions sexuelles ?
C'est possible : Geneviève Parent, professeure au Département de psychoéducation et de psychologie à l’Université du Québec en Outaouais, a bien trouvé sur presque 300 femmes un taux élevé d'agression, en employant une définition aussi large que celle que les féministes utilisent contre les hommes :
"Dans les 41 %, on inclut celle qui, à l’âge de 17 ans, a essayé une fois de bouder pour avoir des pré́liminaires et celle qui a intoxiqué ses partenaires à de multiples reprises pour avoir des relations sexuelles complètes, il y a donc des nuances à apporter », précise la chercheuse en entrevue au Devoir."
Le Devoir
L'étude
En fait, Parent, Robitaille & Guay (2018) s'intéresse moins au combien de femmes ont déjà forcé un homme, qu'au pourquoi elles le font, et a pour cela testé le modèle de Schatzel-Murphy (2011), expliqué comme :
"Ce modèle bonifié (voir Fig. 1) suggère que la victimisation sexuelle (englobant la victimisation sexuelle durant l’enfance et le harcèlement sexuel à l’âge adulte) et l’adhésion à des mythes de viol favoriseraient le développement d’une perception erronée quant à la capacité des hommes et des femmes à résister (ou à consentir) à des relations sexuelles. Cette perception favoriserait à son tour le développement de l’Hyperféminité (c.-à-d., considérer la sexualité féminine comme une forme de « marchandise » et s’attendre à un comportement dominant chez les hommes). Cette hyperféminité, centrale dans le modèle de Schatzel-Murphy, entraînerait le développement de sentiments et de comportements rigides basés sur un stéréotype de féminité et soutiendrait l’adoption d’un script sexuel (c.-à-d., une représentation mentale du déroulement attendu des rencontres à̀ caractère sexuel entre un homme et une femme) traditionnel. Selon ce script, l’homme ne peut refuser des relations sexuelles, car il est attendu qu’il soit un perpétuel demandeur de celles-ci. Face au refus, la femme aurait recours à des stratégies coercitives afin qu’il y ait des contacts sexuels, et ce, conformément à son script sexuel."
Parent et al. (2018) - Gras ajouté
Les principaux critères retenus sont :
Hyperféminité : "considérer la sexualité féminine comme une forme de « marchandise » et s’attendre à un comportement dominant chez les hommes", c’est-à-dire une exagération de l'échange sexe-ressource
Sociosexualité : "volonté de s’engager dans des relations sexuelles sans être émotionnellement engagée ou dans des relations sexuelles occasionnelles"
Adhésion aux mythes de viol : non défini dans l'article, mais dans la thèse de Schatzel-Murphy (2011, p 27) qui cite Burt (1980, p 217) : "croyances préjudiciables, stéréotypées ou fausses à propos des viols, des victimes de viols et des violeurs"
Résultats
L'image ci-après, qui rassemble les deux flowcharts de l'étude, montre leurs relations avec en haut le modèle de Schatzel-Murphy et en bas les résultats obtenus par l'étude :
On remarque des différences importantes, même si, comme le précise l'abstract de l'étude "De façon générale, le modèle étiologique de Schatzel-Murphy permet d’expliquer le recours à la coercition sexuelle chez les Québécoises quoique plus imparfaitement que pour les Américaines" :
- Apparition du lien (à p < 0,5) Hyperféminité -> Sociosexualité
- Suppression de tous les liens avec les Abus sexuels (p > 0,5 pour chaque)
- Suppression du lien Sociosexualité -> Coercition sexuelle
Au final, n'explique la Coercition sexuelle que la Compulsion sexuelle, laquelle n'est liée directement et indirectement qu'à l'Hyperféminité, cette dernière étant très fortement corrélée à l'"Adhésion aux mythes de viol" et uniquement à elle.
Abstract
L'abstract original est en français : il ne s'agit pas d'une traduction
Introduction
Bien que de plus en plus de travaux s’intéressent à la coercition sexuelle commise par les femmes de la population générale, très peu de modèles explicatifs ont été proposés afin d’expliquer l’utilisation de stratégies coercitives par des femmes.
Objectif
L’objectif principal de cette étude était de mettre à l’épreuve, avec un échantillon plus grand et culturellement différent, le premier modèle explicatif proposé par Schatzel-Murphy (2011) et testé auprès d’Américaines.
Méthode
Pour ce faire, 274 étudiantes universitaires, canadiennes, hétérosexuelles et de langue française ont complété la version francophone du Multidimensional Inventory of Development, Sex and Aggression (MIDSA).
Résultats
Les résultats ont montré qu’une plus grande proportion de Québécoises (41 %) que d’Américaines (26 %) utilise la coercition sexuelle pour contraindre leur partenaire à avoir un rapport sexuel lors d’une absence de consentement. De façon générale, le modèle étiologique de Schatzel-Murphy permet d’expliquer le recours à la coercition sexuelle chez les Québécoises quoique plus imparfaitement que pour les Américaines comme en témoigne une variance expliquée trois fois moins importante (12 % contre 34 %). L’absence de lien entre la victimisation sexuelle et la coercition sexuelle ainsi que le rôle différent que semble exercer la sociosexualité et l’hyperféminité dans l’utilisation de la coercition sexuelle chez les Québécoises sont discutées à la lumière des différences culturelles entre les femmes des deux pays.
Discussion
Une réflexion, quant aux deux grandes trajectoires, menant à la coercition sexuelle est également mise de l’avant et des implications cliniques relativement à celles-ci sont suggérées.
Liens
Des femmes, des putes et des sexbots. Gouillou, Philippe. Evoweb. Vendredi 8 avril 2016
Inconduite sexuelle au féminin. Jessica Nadeau. Le Devoir. 27 mars 2018
Katy Perry: un baiser volé dans American Idol fait polémique. BFM TV. 15 mars 2018 à 13h34
Références
Parent, G., Robitaille, M. P., & Guay, J. P. (2018). La coercition sexuelle perpétrée par la femme: Mise à l’épreuve d’un modèle étiologique. Sexologies. doi:10.1016/j.sexol.2018.02.007
Schatzel-Murphy, E. A. (2011). Expanding A Model of Female Heterosexual Coercion : Are Sexually Coercive Women Hyperfeminine ? University of Massachusetts, Boston, MA. (Open Access)
Historique des versions
Date | Description |
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23 avril 18 | Ajout Sommaire |
28 mars 18 | Première mise en ligne |