Alesina, A., Murard, E., & Rapoport, H. (2019) confirment sur l'Europe un effet déjà montré par Putnam (2007) et Laurence & Bentley (2016) et d'autres1 : plus la diversité ethnique augmente, plus les gens se renferment sur eux-mêmes, et moins ils sont généreux, y compris au sein de leur communauté. Mais ils trouvent aussi un effet de retournement.
Le premier paragraphe de l'étude résume :
"La générosité privée et publique (charité et système social) se déplace plus facilement à l'intérieur des mêmes lignes ethniques, de la même nationalité et de la même affiliation religieuse. Alesina et Glaeser (2004) soutiennent que l'une des raisons pour lesquelles l'État providence est plus généreux et plus coûteux en Europe occidentale qu'aux États-Unis est que les pays européens ont traditionnellement été beaucoup plus homogènes que les États-Unis, pays construit par des vagues d'immigrants relativement récents. Toutefois, au cours des deux dernières décennies, l'immigration en Europe occidentale a considérablement augmenté et est devenue (et restera dans un avenir prévisible) un enjeu politique majeur. L'immigration réduit-elle le soutien aux politiques de redistribution en Europe ? La réponse fournie par ce document est "oui", mais avec des réserves."
Alesina, Murard, & Rapoport (2019)2
Pour ce faire, les auteurs ont comparé l'évolution des attitudes envers la redistribution en fonction du taux d'immigration (définie par le pays de naissance) dans 140 régions de 16 pays Européens3 en 1990, 2000, et 2010. En effet, si la redistribution est décidée au niveau national, la perception du taux d'immigration national dépend de son niveau local4.
Ils ont notamment trouvé un plancher à l'effet anti-redistribution et peut-être un retournement (courbe en U), mais sous réserve :
"Nous constatons que l'appui à la redistribution diminue constamment avec la proportion d'immigrants jusqu'à ce que leur part atteigne 20 % de la population régionale. Au-delà de ce point, l'effet négatif de la présence des immigrants s'atténue et semble même devenir positif lorsque la part des immigrants est supérieure à 30 %, bien que les estimations soient trop imprécises pour rejeter un impact nul."
Les auteurs insistent sur le fait que la moyenne cache une hétérégenéité "considérable" (page 3) :
- Le facteur le plus influent est le sens de l'immigration (de pays à faible redistribution vers pays à plus forte redistribution)
- L'effet est plus fort :
- Chez les personnes d'orientation politique centriste ou de droite augmente l'effet
- Quand les immigrés viennent de MENA5 (Afrique du Nord et Moyen Orient) ou d'Europe de l'Est
- Quand les immigrés sont plus séparés de la population d'origine (ségrégation)
- L'effet est moins fort :
- Chez les personnes ayant un plus haut niveau d'éducation
- Quand les immigrés ont un plus haut niveau d'éducation
Commentaires
Cet effet s'explique partiellement par les effets opposés de la générosité et de l'égoïsme sur le statut (statut = prestige + dominance) selon qu'ils s'exercent à l'intérieur ou à l'extérieur du groupe d'appartenance (Halevy et al., 2011, présenté Lettre Neuromonaco 5 et cité récemment sur Evopsy pour expliquer pourquoi les riches ne paient pas) :
- Etre généreux au sein de son groupe augmente son prestige mais baisse sa dominance (tels que perçus par les autres membres du groupe)
- La contraposée est vérifiée : être égoïste augmente sa dominance (ce qu’ont remarqué les media) mais baisse son prestige
- Etre généreux en dehors du groupe fait chuter à la fois la dominance et le prestige
Mais il faut bien remarquer que cette explication est insuffisante : l'effet négatif de la diversité sur l'acceptation de la redistribution s'exerce même au sein du groupe. Cet effet de la diversité est donc à rapprocher de ceux déjà connus sur la confiance.
A noter que cette étude a une vocation politique et dans leur conclusion6 les auteurs s'inquiètent de cet effet sur l'avenir des partis de Gauche et du risque de remise en cause de la double-générosité (ouverture des frontières + accès immédiat des immigrés à la redistribution).
Traduction de l'Abstract
"Nous examinons la relation entre l'immigration et les préférences de redistribution en Europe en utilisant un ensemble de données nouvellement rassemblées sur les stocks d'immigrants pour 140 régions dans 16 pays d'Europe occidentale. En exploitant les variations à l'intérieur d'un même pays de la proportion d'immigrants au niveau régional, nous constatons que les répondants natifs affichent un soutien plus faible à la redistribution lorsque la proportion d'immigrants dans leur région de résidence est plus élevée. Cette association négative est le fait de régions de pays ayant des États providence relativement importants et de répondants au centre ou à la droite du spectre politique. Les effets sont également plus forts lorsque les immigrants sont originaires de pays du Moyen-Orient ou d'Europe de l'Est, sont moins qualifiés que les autochtones et subissent une plus grande ségrégation résidentielle. Il est peu probable que ces résultats soient influencés par les choix endogènes de localisation des immigrants, c'est-à-dire par les effets d'attraction de l'aide sociale ou par le tri des immigrants dans les régions offrant de meilleures possibilités économiques. Ils sont également robustes pour ce qui est d'instrumenter l'immigration avec une approche standard de partage des déplacements ou de contrôler les perspectives de croissance régionale."
Alesina, Murard, & Rapoport (2019)7
Références
Alesina, A., Murard, E., & Rapoport, H. (2019). Immigration and Preferences for Redistribution in Europe. CEPII Working Paper No. 2019–15. [PDF (2,2 Mo)]
Laurence, J., & Bentley, L. (2016). Does ethnic diversity have a negative effect on attitudes towards the community? A longitudinal analysis of the causal claims within the ethnic diversity and social cohesion debate. European Sociological Review, 32(1), 54–67. doi:10.1093/esr/jcv081
Putnam, R. D. (2007). E Pluribus Unum: Diversity and Community in the Twenty-first Century. The 2006 Johan Skytte Prize Lecture. Scandinavian Political Studies, 30(2), 137–174. doi:10.1111/j.1467-9477.2007.00176.x
Liens
Psychomarketing : Pourquoi les riches ne paient pas ?. Philippe Gouillou. Evopsy. 26 décembre 2019
Lettre Neuromonaco 5: Statut, Prestige, Dominance. Philippe Gouillou. Neuromonaco. 5 Décembre 2011
Plus il y a de diversité dans la population, moins celle-ci est favorable à la redistribution confirme une étude. LePanacheFrançais. Fdesouche. 30 décembre 2019
Les immigrants nous rendent-ils (les Européens) moins favorables à la redistribution ?. Hillel Rapoport. CEPII - Le Blog. 30 décembre 2019
Images
Cartogramme : The map we need if we want to think about how global living conditions are changing. Max Roser. Our World In Data. September 12, 2018
Graphique : Figure 3: Semiparametric effect of immigrants on natives’ support for redistribution. Alesina, Murard, & Rapoport (2019, p 18)
Historique des modifications
Date | Historique |
---|---|
31 décembre 2019 | 1ère Mise en ligne |
Notes
-
Voir la bibliographie de l'étude ↩
-
Traduction depuis :
"Private and public generosity (charity and welfare) travel more easily within the same ethnic lines, nationality and religious affiliation.1 Alesina and Glaeser (2004) argue that one of the reasons why the welfare state is more generous and expensive in Western Europe than in the US is that European countries have been traditionally much more homogeneous than the US, a country built by waves of relatively recent immigrants. However in the last two decades immigration in Western Europe has substantially increased and has become (and will remain for the foreseeable future) a major political issue. Does immigration reduce support for redistributive policies in Europe? The answer provided by this paper is “yes”, but with qualifications."
Alesina, Murard, & Rapoport (2019) -
Les 16 pays étudiés sont : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irelande, Italie, Norvège, Pays Bas, Portugal, Royaume Uni, Suède, et Suisse. ↩
-
Page 2 :
"We first find that local (i.e., regional) exposure to immigration in the residence region affects natives’ perception of the number of immigrants at the national level and, therefore, also their perception about the identity (natives versus immigrants) of the potential bene- ficiaries of the Welfare State."
Alesina, Murard, & Rapoport (2019) -
MENA : Acronyme de Middle-East North Africa ↩
-
Traduction depuis :
We examine the relationship between immigration and preferences for redistribution in Europe using a newly assembled data set of immigrant stocks for 140 regions in 16 Western European countries. Exploiting within-country variations in the share of immigrants at the regional level, we find that native respondents display lower support for redistribution when the share of immigrants in their residence region is higher. This negative association is driven by regions of countries with relatively large Welfare States and by respondents at the center or at the right of the political spectrum. The effects are also stronger when immigrants originate from Middle-Eastern or Eastern European countries, are less skilled than natives, and experience more residential segregation. These results are unlikely to be driven by immigrants' endogenous location choices, that is, by welfare magnet effects or by immigrants' sorting into regions with better economic opportunities. They are also robust to instrumenting immigration with a standard shift-share approach or to controlling for regional growth prospects.
Alesina, Murard, & Rapoport (2019)