Féminisme : le biais gamma et la matrice de distorsion de genre

Philippe Gouillou - 25 mars 2019 -https://evopsy.com/breves/feminisme-gamma-bias.html
Tags :Women
Seager & Barry (2019) nomment biais gamma le biais général pro-femmes et anti-hommes, proposent une matrice pour l'analyser, et l'expliquent notamment par les stéréotypes.

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La matrice de distorsion de genre

Seager & Barry (2019) proposent d'ajouter aux biais cognitifs concernant les différences sexuelles (alpha : amplification des différences et bêta : minimisation des différences) le biais gamma qui à la fois les minimise et les amplifie (selon le sexe concerné).

Ils remarquent que la culture est extrêmement biaisée en faveur des femmes et en défaveur des hommes aussi ils proposent de classer ces biais selon une "matrice de distorsion de genre" ("gender distortion matrix")1 :

POSITIF NUISIBLE
MODE ACTIF (agit) FEMMES (célébration) HOMMES (perpétration)
MODE PASSIF (reçoit) HOMMES (privilège) FEMMES (victimes)

Ils donnent de nombreux exemples pour en montrer l'intérêt, dont :

  • Mode Actif :
    • Action positive :
      • Amplification du rôle des femmes :
        • Les femmes sont systématiquement valorisées pour leur sexe dès qu'elles font quelque chose
      • Minimisation du rôle des hommes
        • Aucune "masculinité positive" n'est reconnue, même pas quand 80% des hommes se sacrifient pour que 75% des femmes puissent survivre (Titanic)
    • Action nuisible :
      • Amplification de la culpabilité des hommes :
        • Généralisations à partir des hommes les pires, par exemple lors d'un meurtre en Inde d'une femme le meurtrier avait été présenté par les médias comme représentant les hommes, et pas le père de cette femme qui la regrettait
      • Minimisation de la culpabilité des femmes :
        • La presse présente les abus sexuels des enfants comme un problème uniquement masculin alors que : > "52% des hommes sur un échantillon de prisonniers de haute sécurité qui avaient commis de graves délits contre les femmes et avaient été abusés sexuellement dans leur enfance l'avaient été par des femmes agissant indépendamment des hommes (Murphy 2018)".2
  • Mode Passif :
    • Privilège :
      • Amplification des privilèges des hommes :
        • Concept de Patriarchie
        • Mythe des différences salariales
      • Minimisation des privilèges des femmes :
        • Les femmes bénéficient d'un plus grand accès à leurs enfants en cas de divorce ou d'emprisonnement
    • Victimes :
      • Minimisation du statut de victime des hommes
        • Les hommes vivent moins longtemps mais leurs problèmes de santé spécifiques sont moins soignés ou moins pris en compte
      • Amplification du statut de victime des femmes
        • Les 300 filles kidnappées par le groupe terroriste Boko Haram ont provoqué un émoi mondial, mais pas les 10 000 garçons enlevés ou tués dans le même pays (Nigéria)

Stéréotypes et vision parcellaire

Les auteurs expliquent la valorisation des femmes par l'Effet Halo3, lié aux souvenirs des expériences positives précoces avec les mères.

Ils remarquent surtout que ce biais gammas peut être expliqué par les stéréotypes des différences de rôles des hommes et des femmes : comme les femmes ont une plus grande valeur reproductive, les hommes sont perçus comme des protecteurs des femmes, et on ne peut avoir le même niveau émotionnel pour les hommes que pour les femmes. Cet effet est renforcé par le fait que les hommes ne montrent pas de biais pro-endogroupe, contrairement à elles.

Ils ajoutent que l'approche féministe d'intersectionnalité, qui affirme que

"les hommes sont traditionnellement privilégiés et ne méritent donc généralement pas d’aide ou d’attention sauf s’ils sont également membres d’un autre groupe historiquement opprimé, sans pouvoir et marginalisé (par exemple, hommes homosexuels, issus de la diversité, ou handicapés)"4

ne tient pas face aux chiffres. Ils considèrent que cette approche pourrait théoriquement permettre de mieux quantifier les problèmes rencontrés par chaque sous-groupe, mais qu'ici elle ne fait que cacher la plus grande importance de la masculinité. Ils en donnent comme exemple le suicide, qui est plus fort chez les hommes même au sein des sous-groupes dits défavorisés (il y a plus de gays que de lesbiennes qui se suicident, etc.) :

"Cela signifie que se concentrer uniquement sur une pluralité de "masculinités" ne nous aide pas à résoudre des problèmes plus généraux liés à la masculinité et peut même nous en distraire."5

Et ils comparent cette vision parcellaire à la parabole de l'aveugle qui touche la queue d'un éléphant et en déduit qu'il s'agit d'un serpent...

Commentaire

Les stéréotypes apparaissent bien être un facteur explicatif important du biais actuel, mais ils n'expliquent bien sûr pas tout, de nombreux autres facteurs entrent en jeu. On peut citer par exemple la compétition sexuelle féminine, la subversion6, et aussi tout simplement le marketing : les femmes gèrent traditionnellement les budgets familiaux et dépensent beaucoup plus que les hommes (qui leur apportent ce qu'ils gagnent), aussi les marketeurs ont tout intérêt à les manipuler en leur faisant croire qu'elles sont uniques, supérieures, etc. (ça marche !7).

Référence

Seager, M., & Barry, J. A. (2019). Cognitive Distortion in Thinking About Gender Issues: Gamma Bias and the Gender Distortion Matrix. In The Palgrave Handbook of Male Psychology and Mental Health (pp. 87–104). Springer. doi:10.1007/978-3-030-04384-1_5

Abstract

La psychologie a identifié de nombreux exemples de biais et d’erreurs cognitifs. En ce qui concerne le genre, il existe un biais alpha (amplification des différences entre les sexes) et bêta (minimisation des différences entre les sexes). Dans ce chapitre, nous identifions un autre biais lié au genre, le biais gamma, qui amplifie et minimise simultanément les différences entre les sexes. Un exemple est la violence domestique, où la violence contre les hommes a tendance à être négligée alors que la violence contre les femmes est souvent mise en avant. Nous soutenons dans ce chapitre que, même si nous vivons à une époque où nous parlons beaucoup, à juste titre, de préjugés conscients et inconscients à l’égard des femmes, nous ne sommes pas encore conscients de nos préjugés à l’égard des hommes. La matrice de distorsion de genre est proposée comme cadre pour identifier les biais cognitifs visant les hommes et les garçons.
Seager & Barry (2019)8

Liens

Image : Titanic (James Cameron, 1997)

Notes


  1. Table originale :
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  2. Traduction depuis :

    "52% of men in a sample of high-security prisoners who had committed serious offences against women and had been sexually abused in childhood were found to have been abused by female abusers acting independently of men (Murphy 2018)."
    Seager & Barry (2019)

  3. Voir Lettre Neuromonaco 37: Effet Halo : la véritable publicité.
    Extrait :

    "Tout est pur pour les purs
    Le terme “Effet Halo” avait été créé par E.L. Thorndike en 1920. Il avait trouvé que le jugement des autres se basait sur une impression qui se répandait sur l’ensemble de la personne (avec une tendance au positif).
    C’est lui qui explique la rétroaction positive (= qui augmente l’effet) de la célébrité, et de la chute. Il est donc à l’origine de l’efficacité du ad hominem : détruire la réputation d’une personne sur un domaine déteindra sur sa réputation dans des domaines n’ayant pourtant rien à voir.
    A un niveau plus quotidien, il explique le biais “ce qui est beau est bien” (Lettre 34)."

  4. Traduction depuis (rem : BAME est l'acronyme de Black, Asian, and minority ethnic) :

    "men are historically privileged and therefore don’t generally deserve help or attention unless they are also members of another historically oppressed, disempowered and marginalised group (e.g. gay, BAME or disabled men)."
    Seager & Barry (2019)

  5. Traduction depuis :

    "This means that focusing only on a plurality of “masculinities” doesn’t help us address more general issues related to masculinity and may even distract us from doing so."
    Seager & Barry (2019)

  6. Voir les explications de Youri Alexandrovitch Bezmenov (maintenant connu sous le nom de Tomas David Schuman) sur Evoweb : Et la guerre peut recommencer 

  7. Ils utilisent pour cela la méthode des déclencheurs contradictoires :

    "C’est cette augmentation du niveau de compétition qui est recherchée en publicité. Plusieurs études ont montré qu’il faut d’abord attaquer l’estime de soi des femmes pour ensuite vendre des produits qui les rassurent et/ou leur offrent un moyen d’atteindre l’idéal.
    Par exemple, Apaolaza-Ibáñez et al. (2011) ont montré que les femmes sont intéressées par les marques de cosmétiques qui leur proposent des produits qui les rassurent… et qu’elles se sentent plus rassurées quand elles ont d’abord subi une perte d’estime de soi provoquée par des photos de femmes plus belles."
    Lettre Neuromonaco 89: La minceur : Effet Barbie ou Déclencheur ?

  8. Traduction depuis :

    "Psychology has identified many examples of cognitive biases and errors. In relation to gender, there are alpha bias (magnifying gender differences) and beta bias (minimising gender differences). In this chapter we identify another gender bias, gamma bias, which simultaneously magnifies and minimises gender differences. An example is domestic violence, where violence against men tends to be overlooked whereas violence against women is often highlighted. It is argued in this chapter that although we live in times where we now rightly talk a lot about conscious and unconscious bias against women, we are not yet conscious of our biases against men. The gender distortion matrix is proposed as a framework for identifying cognitive bias regarding men and boys."
    Seager & Barry (2019)